Les risques psychosociaux dans un établissement médico-social

Cet article est initialement paru dans la revue “les cahiers de l’actif” n° 550-553.

Auteur de l’article : Didier Zika
Éducateur spécialisé dans un SESSAD au sein d’un ITEP, accompagne des
enfants et des adolescents porteurs de troubles du comportement et de
troubles psychiques associés, délégué syndical CGT de son association
et élu au CSE.

L’article L.4121-1 du Code du travail prévoit que « l’employeur prend les
mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale
des travailleurs ». Cette obligation du Code du travail n’est pas à considérer
en termes de moyens, mais en termes de résultats. Il semble indispensable de
rappeler en préambule cette disposition du Code du travail. En effet, dans
notre secteur, cette obligation est trop souvent négligée par les employeurs.

INTRODUCTION

Depuis 2018, le secteur social et médico-social est passé premier en sinistralité, même devant le BTP. Les principaux risques professionnels de notre secteur sont les risques psychosociaux (RPS), mais aussi les troubles musculosquelettiques (TMS). Ces TMS sont la principale cause d’arrêt de travail et d’inaptitude dans le secteur médico-social. « Ce n’est pas étonnant, car les déterminants des TMS sont les mêmes que pour les risques psychosociaux. Contrairement à l’idée reçue, les TMS ont des origines multifactorielles et pas seulement biomécaniques », rappelle Magali Ollier, chargée de mission « prévention et santé au travail », chez Chorum- Cides[1].

Dans cet article, je vais plus particulièrement parler des RPS. Je souhaite en effet apporter mon témoignage de salarié, mais aussi de militant syndical, sur l’impact de ces RPS sur la santé des personnels. Dans mes missions de représentant des salariés, j’ai eu à connaître de nombreuses situations de collègues qui étaient très engagés dans l’accompagnement des usagers, qui ont craqué et se sont retrouvés en arrêt de travail parfois pendant plusieurs mois. D’autres ont préféré simplement démissionner, soit pour changer de structure, soit pour changer de métier.

I - QUE SONT LES RISQUES PSYCHOSOCIAUX ?

Il existe plusieurs définitions des risques psychosociaux. Parmi celles-ci, je vais en retenir deux qui me semblent correspondre aux situations que nous rencontrons dans le champ social et médico-social. Il y a celle de l’INRS[2], d’abord.

« Les risques psychosociaux correspondent à des situations de travail où sont présents, combinés ou non,

  • du stress : déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes de son environnement de travail et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ;
  • des violences internes commises au sein de l’entreprise par des salariés : harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes ;
  • des violences externes commises sur des salariés par des personnes externes à l’entreprise (insultes, menaces, agressions…). »

Il y a aussi la suivante, que propose l’ANACT[3].

« Le champ psychosocial renvoie à des aspects psychologiques de la vie sociale au travail. Les troubles psychosociaux (stress, violence…) apparaissent lorsqu’il y a un déséquilibre dans le système constitué par l’individu et son environnement de travail. Les conséquences de ce déséquilibre sont multiples sur la santé physique et psychique […] La notion de risque doit s’entendre comme la probabilité d’apparition du trouble psychosocial ayant pour origine l’environnement professionnel. »

Les conséquences de l’exposition à ces RPS se traduisent par une augmentation constante des syndromes d’épuisement professionnel (« burn-out ») qui, initialement, étaient constatés chez les soignants et les aidants, mais qui touchent aujourd’hui tous les métiers qui demandent un engagement personnel fort. Ce syndrome désigne un épuisement émotionnel, mental et physique, dû à des conditions de travail trop exigeantes et à un trop grand investissement du salarié.

Pour Michel Gollac, ce n’est pas tant la charge de travail qui génère des RPS que la conjonction de la charge de travail avec des organisations « dirigistes » du travail (travail prescrit à exécuter tel quel, sans possibilité de l’aménager ou de l’organiser en autonomie).[4]

Les salariés qui ont choisi les métiers de l’accompagnement portent généralement des valeurs intrinsèques et une grande importance à un accompagnement de qualité des usagers. En outre, depuis quelques années, le champ du social et du médico-social voit apparaître un nouveau syndrome plus lié à la perte de sens : le « brown-out ». Ce syndrome a été théorisé pour la première fois au milieu des années 90 par l’anthropologue étatsunien David Graeber. Il naît de situations de travail ou d’injonctions de la hiérarchie qui sont contraires à ses attentes, voire à ses valeurs. Nous allons voir, au travers des exemples présentés dans cet article, que c’est la perte de sens au travail qui est l’une des principales causes (mais pas la seule) de risques psychosociaux dans le secteur médico-social. Yves Clot[5], psychologue du travail largement reconnu, dit que la perte de sens au travail est l’un des principaux vecteurs de risques psychosociaux et donc de souffrance au travail.

Plus globalement, en France, le nombre d’affections psychiques liées au travail a été multiplié par sept en cinq ans ! Le secteur médico-social concentre à lui seul 20 % de ces affections psychiques, alors qu’il emploie environ 10 % des salariés[6]. Cela s’explique, en partie, par des conditions de travail complexifiées, en raison de la pression hiérarchique de plus en plus importante sur la nécessité de produire toujours plus de prise en charge, toujours plus de journées, toujours plus d’actes, sans moyens supplémentaires. Cela se faisant trop souvent au détriment de la qualité du service rendu aux personnes accompagnées.

L’injonction paradoxale de faire mieux et plus avec moins de moyens devient
insupportable.

Nous allons voir, dans cet article, l’impact sur la santé que les facteurs de risques psychosociaux ont dans les métiers de l’accompagnement d’enfants, d’adolescents et d’adultes en situation de handicap.

Je ne vais pas développer les conséquences, en termes de RPS, de la période épidémique que nous venons de traverser et que nous traversons encore. Cette période justifierait à elle seule un article complet sur la gestion de cette crise et des RPS qui en ont découlé par nos dirigeants d’association. En effet, cette période leur a permis de s’affranchir de nombreuses obligations, d’opérer des raccourcis et parfois même de ne pas respecter la loi, car, comme j’ai pu l’entendre dire : « si on devait à chaque fois respecter la loi à la lettre, on ne pourrait plus rien faire ».

Je vais donc livrer des témoignages et des situations que j’ai eu à connaître dans le cadre de mon mandat de représentant du personnel. Ces témoignages et ces situations sont anonymisés.

II – EXEMPLES DE SITUATIONS DE RPS

Une éducatrice

Le premier témoignage est celui d’une éducatrice que nous appellerons Patricia, qui a démissionné après onze années de présence dans l’association.
Patricia raconte qu’au bout de cinq ans de présence, elle avait déjà fait l’objet d’une mutation sans qu’on lui demande son avis, car, « apparemment, il fallait casser le binôme éducatif qui fonctionnait trop bien, et s’ouvrir à d’autres pratiques ». Puis, plus tard, cette fois à sa demande, elle a fait l’objet d’une nouvelle mutation vers un autre secteur d’intervention géographique. Patricia nous dit qu’au cours de sa carrière dans l’association elle a vécu nombre de départs et d’arrivées de collègues. Elle a vu sa colère grandir au fil du temps, avec cette impression étrange de devoir se battre pour effectuer correctement son travail, devoir convaincre pour chaque projet, devoir se justifier de tout quand, « en haut », aucune explication n’était donnée sur certains choix opérés par la direction. Sur son nouveau secteur d’intervention, elle témoigne du manque de moyens en termes d’infrastructure de soins, la laissant souvent seule face à des situations d’enfants porteurs d’importants troubles du comportement et de devoir faire face à des situations explosives.

Patricia raconte. « Moi qui pensais avoir un certain bagage en arrivant, me voilà face à des situations de violence, de la part d’enfants, mais aussi de la part des familles » et de s’interroger du soutien, ou plutôt de l’absence de soutien face à ces situations de violences.

En effet, si elle reconnaît que la violence peut être liée à l’expression des troubles du comportement des enfants et adolescents accompagnés, l’absence de soutien de la part de sa hiérarchie a considérablement détérioré ses conditions de travail. Patricia souligne, au travers d’une situation particulière, l’absence de sens dans le travail qui lui était demandé.

« C’est ainsi qu’on a continué à accompagner une jeune fille Asperger, pendant neuf ans, en bricolant des réponses approximatives, en leurrant la famille qui a continué à croire en nous plutôt que de rechercher d’autres réponses. La réponse à l’usager, à tout prix, même au prix de l’incohérence. […] Et un jour, lors d’une activité éducative, c’est l’explosion. La jeune fille fait une crise. L’activité a lieu dans les locaux, en présence d’autres enfants, d’une éducatrice et d’une psychologue. Je prends des coups, beaucoup. Mes collègues aussi. Face à ce déchaînement de violence, nous nous réfugions dans un bureau. La jeune fille tentera de défoncer la porte, puis le mur du bureau. Elle arrivera à faire un trou d’un mètre carré dans la porte » (la jeune fille mesure 1,70 m pour 140 kilos).

À la suite de cette crise, elle sera orientée vers les urgences psychiatriques, d’où elle sortira le soir même. La famille sera laissée en l’état, le projet prend fin après 9 ans d’accompagnement. Patricia cite ensuite de nombreux exemples de situations de travail sans aucun sens, ni pour les personnes accompagnées, ni pour la professionnelle attachée pourtant à une qualité de service rendu aux usagers.

Elle conclura ainsi son témoignage. « Je ne suis pas systématiquement contre toute forme d’autorité. Je cherche plutôt l’entente et le compromis : on a tous à y gagner à commencer par notre public. Mais j’ai fini par être complètement écœuré par la machine à broyer de la direction. Les cadres n’ont pas le droit de s’opposer, ils sont là pour faire appliquer. Nous n’avons pas d’espace pour réfléchir mais seulement le droit d’obtempérer. Il est où le sens du travail ? C’est bien pour ça que je suis partie le retrouver ailleurs. »

Dans ce témoignage on ressent l’implication d’une salariée très attachée au sens de son travail. Elle a besoin de se sentir utile pour les enfants qu’elle accompagne. Toutefois, pour des raisons liées à l’activité, il semble que le sens du travail ne soit pas forcément la priorité pour nos directions. En outre, la mise en place d’un management très vertical où les échelons subordonnés ne sont pas, ou très peu, associés aux prises de décisions dégrade les conditions de travail. Les salariés se sentent isolés et laissés livrés à eux-mêmes. On note également que l’absence de soutien hiérarchique face à ces situations compliquées rend le travail très difficile.

Un psychologue

Un psychologue ayant également démissionné s’inquiétait, quant à lui, de l’absence de respect des principes déontologiques de sa profession. Ainsi, il constatait une “ingérence grandissante de certains cadres de direction dans la pratique clinique, sur les modalités de prises en charge imposées avec un temps de consultation limité à trente minutes, une fréquence de séances imposée et parfois modifiée sans aucune concertation avec le praticien. En outre, des dispositifs de prises en charge psychothérapeutiques groupales retardés, voire annulés, partiellement ou en totalité par une invalidation de la direction, et ce, sans aucun échange, ni discussion préalable.”

Il témoigne également d’exemples des prises en charge thérapeutiques arrêtées par un chef de service, sans aucune consultation du psychologue et ce, en totale opposition avec les droits fondamentaux des personnes. Ou, au contraire, d’imposer une psychothérapie à un enfant, au mépris des réserves cliniques et déontologiques énoncées par le praticien.

Dans cet exemple, c’est encore une fois le principe économique qui semble prendre le pas sur les principes déontologiques du psychologue. Ce psychologue n’a pas attendu de s’épuiser professionnellement.

Une assistante sociale

Une assistante sociale ayant démissionné a également témoigné des nombreux dysfonctionnements institutionnels et conclut son témoignage comme suit.

« J’ai donc démissionné, car les conditions de travail, la qualité du service rendu et même l’ambiance générale se sont tellement dégradées qu’à force de les subir, elles ont fortement contribué à fragiliser mon état de santé. De plus, je refusais de perdre encore toute crédibilité en tant que professionnelle auprès des familles et des partenaires et je ne pouvais plus être témoin de ces carences de soins, de ces difficultés d’organisation et de communication. Depuis mon arrivée, je n’ai jamais ressenti une réelle envie de la direction d’améliorer la situation, malgré de beaux discours. Mais à mon sens, il y a urgence à réagir pour limiter les dégâts auprès des salariés, des partenaires, des familles et surtout des enfants ».

Autres exemples

Je pourrais continuer à raconter de nombreuses situations similaires, comme cette collègue qui a démissionné, car elle se disait « écœurée » par la manière dont la direction traite les difficultés au sein des services. Ainsi, depuis plusieurs mois, elle observait des tensions entre collègues. Aucune mesure concrète n’avait été mise en œuvre par la direction pour faire cesser ces tensions. Au point qu’elle se questionnait sur une volonté assumée de cette direction de « laisser pourrir » les situations conflictuelles entre salariés.

Je pense également à la situation des éducateurs d’un service entier, convoqués à un entretien préalable à une sanction, pour une « faute » qui ne relevait pas, de mon point de vue, d’une sanction, mais juste d’un recadrage du fonctionnement. Durant ces entretiens où j’assistais ces salariés en tant que délégué syndical, l’expression de leur souffrance des conditions de travail dans lesquelles ils évoluaient m’a particulièrement affecté. En effet, j’ai ressenti la souffrance de tout un service. L’une d’entre elles ayant même déposé, en plein entretien préalable, sa lettre de démission. À la suite de cette convocation, l’ensemble des éducateurs de ce service est parti, laissant ainsi pendant un long moment un secteur entier et plusieurs enfants sans réponse éducative à leur situation de handicap.

Enfin, il n’est pas rare d’échanger avec des collègues de travail qui, totalement démoralisés, disent qu’ils se contentent de faire le minimum et être en pleine réflexion sur une éventuelle démission, soit pour retrouver du sens ailleurs (comme le disait Patricia ci-dessus), soit pour changer complètement de métier. Ainsi, lors d’un échange avec une collègue de travail, celle-ci me disait être « dépitée de ne pouvoir mener des projets porteurs de sens et de devoir simplement prendre des enfants en séance juste pour faire du chiffre ».

III – QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DE CES SITUATIONS ?

Toutes ces situations, tous ces témoignages que j’ai recueillis ces dernières années me questionnent sur la gestion des risques psychosociaux dans les ESSMS. En effet, de ma place de syndicaliste, j’ai l’occasion d’échanger régulièrement avec d’autres représentants syndicaux dans d’autres associations.

Force est de constater que, peu ou prou, les RPS sont présents dans la plupart des ESSMS. La différence entre les associations se situe principalement au niveau de leur gestion par les directions. En outre, au sein même de l’association dans laquelle je travaille, cette gestion des RPS est différente d’un établissement à l’autre.

Il semble utile, à ce stade de la réflexion, de rappeler que le Code du travail contraint les employeurs à mettre en place une démarche de prévention qui s’appuie sur neuf grands principes (article 4121-2 du Code du travail).

Parmi ces grands principes se trouve l’obligation d’éviter les risques et de les évaluer (notamment au travers d’un document unique d’évaluation des risques professionnels – DUERP), mais aussi d’adapter le travail à l’homme.

Dans mon établissement, le DUERP est révélateur de la place donnée par la direction aux risques psychosociaux. En effet, alors que c’est incontestablement l’un des principaux risques dans notre établissement, le DUERP indique que les RPS sont des risques «non prioritaires et à criticités faibles », dont les seuls moyens de prévention envisagés sont la mobilité institutionnelle ou associative et éventuellement des formations. Autrement dit, et plus directement, si le salarié n’est pas bien dans l’établissement, il peut demander à partir ailleurs.

Ces dernières années, la situation de mon établissement s’est tellement dégradée que les élus du CSE ont demandé le recours à une expertise indépendante pour risque grave. Il s’agit en effet d’un des outils à dispositions du CSE pour être force de proposition face à l’augmentation significative des RPS. Il permet aussi, dans une certaine mesure, de « contraindre » l’employeur à prendre ses responsabilités et de mettre en place de véritables mesures de prévention. La direction de mon établissement, mais également la direction générale de l’association, n’ont pas pris la mesure de la situation, voire ont été durant longtemps dans le déni. Pourtant, je sais que la direction a reçu de très nombreuses alertes, que ce soit de la part de salariés qui l’ont directement saisi ou même par l’intermédiaire des représentants du personnel.

En effet, à de très nombreuses reprises, nous avons alerté, en réunion de CSE où nous avons fait part de nos inquiétudes de constater autant de démissions et d’arrêts maladie. La direction expliquait alors systématiquement ces démissions que par « des projets de vie » (ce qui fera dire à une salariée ayant démissionné qu’elle ne part pas pour un nouveau projet de vie, mais bien pour un « projet de survie ») ou de se retrancher derrière sa méconnaissance des causes des arrêts de travail en raison du secret médical qui les entourent.

Dans les ITEP, les violences subies de la part des usagers sont inhérentes à leur situation de handicap, c’est incontestable. Les salariés qui postulent pour travailler dans des ITEP savent parfaitement qu’ils seront parfois malmenés. Mais pour gérer ces situations, il est de la responsabilité de l’employeur d’adapter le travail à l’homme, notamment en n’imposant pas aux salariés de prendre en charge des groupes trop importants ou, pire, des groupes composés d’enfants et d’adolescents dont on sait pertinemment que s’ils sont ensemble, la séance sera très compliquée. Ensuite, il est de la responsabilité de l’employeur d’accompagner et de soutenir les salariés qui subissent ces épisodes de violence.

Parmi les moyens de prévention, feue l’ANESM préconisait la mise en place d’instance d’analyse des pratiques professionnelles (APP).

Dans mon établissement, ces APP n’existent pas et il n’y a pas non plus d’instances de supervision. Elles sont remplacées par une réunion trimestrielle inventée en interne et intitulée réunion d’interrogation des pratiques (RIP), qui ne respecte pas le cadre sécurisant des APP, notamment par le fait que ces RIP sont animées par la direction et en présence des chefs de service. Ces RIP ont été mises en place à la suite d’une évaluation externe qui pointait l’absence d’analyse des pratiques professionnelles sur l’établissement. Pour beaucoup de mes collègues, ces RIP n’ont que très peu d’utilité et, en tout cas, ne permettent pas d’élaborer dans un cadre sécurisant sur les difficultés qu’ils rencontrent, en raison de la présence de la direction.

Plus récemment, le Livre vert 2022 du travail social va également dans le sens de la mise en place de véritables lieux d’élaboration de nos conditions de travail : « Il s’agirait aussi de renforcer la prévention des accidents psychosociaux et physiques pour lutter contre la sinistralité dans certains secteurs. Les employeurs sont encouragés à mettre à disposition de véritables espaces ou lieux de réflexion pour soutenir l’analyse des pratiques et la supervision afin de mieux permettre l’expression des professionnels, qui font face à des situations complexes pour clarifier, construire, et assurer leurs positions professionnelles[7]

J’estime, pour ma part, qu’une grande partie des conséquences, en termes de « burn-out» ou de « brown-out », des risques psychosociaux pourrait être évitée si l’employeur y engageait de véritables moyens, en termes de prévention et d’accompagnement. Pour Élodie Montreuil[8], « agir en termes de prévention des RPS, c’est avant tout repérer les facteurs de déséquilibres présents dans l’organisation du travail et identifier les leviers d’action possibles ». Les organisations du travail sont encore trop souvent décidées de manière quasi unilatérale par des cadres (directions et chefs de service) qui méconnaissent en grande partie les spécificités des métiers de l’accompagnement, mais aussi la réalité du terrain.

En effet, le social et le médico-social ont vu arriver, ces dernières années, de nombreux managers issus de formation ne relevant pas de notre champ professionnel (dans mon association, il existe de nombreux chefs de service non titulaires du CAFERUIS[9] et de directeurs sans CAFDES[10]). Ainsi, on trouve des directions ayant des formations en comptabilité, qui après avoir fait un temps de chargé de mission au siège, se retrouvent à la tête d’établissement de soins. Il n’est donc pas étonnant que pour certains d’entre eux, leur paradigme de pensée les amène à mettre prioritairement en avant l’aspect comptable.

C’est par la mise en place d’une véritable culture de la prévention des risques professionnels, dont les RPS, en y associant tous les acteurs, en partant du Conseil d’administration jusqu’aux salariés, que nous pourrons les réduire.

Cela se fait déjà dans de nombreuses entreprises et même dans de nombreuses associations du champ médico-social. Dans celle où j’exerce, et plus particulièrement dans l’établissement où je travaille, cette culture de la prévention des RPS est encore trop peu présente, malgré une volonté affichée de la direction des ressources humaines de prendre ces problématiques à bras-le- corps. En effet, un large chantier sur la qualité de vie au travail a été lancé en 2019 par la conclusion d’un accord de méthode QVT, chantier qui a malheureusement été mis entre parenthèses en 2020 et 2021 en raison de la crise sanitaire. Il est aujourd’hui plus qu’indispensable de relancer ce processus, sans continuer à procrastiner, en y associant les représentants des salariés et les salariés eux- mêmes. Car c’est ensemble que nous pourrons améliorer les conditions de travail des salariés.

CONCLUSION

Le secteur social et médico-social souffre depuis plusieurs années d’un déficit d’attractivité. Cette perte d’attractivité a significativement augmenté depuis la crise sanitaire, au point qu’il est aujourd’hui très compliqué, pour les employeurs, de remplacer les salariés qui s’en vont. Aussi, et au risque de paraître naïf, la première mesure de bon sens qui me semble à prendre pour faire face aux difficultés de recrutement de notre secteur est de rendre les conditions de travail suffisamment bienveillantes pour que les salariés ne démissionnent plus (ou moins souvent). En effet, sous la forme d’une lapalissade, je dirais : un salarié qui ne démissionne pas n’est pas à remplacer.

C’est donc bien par l’amélioration des conditions de travail que notre secteur sera plus attractif et que l’accompagnement des usagers se fera de manière qualitative et dans la bientraitance.

Cette amélioration des conditions de travail se fera non seulement par de meilleures rémunérations (le secteur social et médico-social ayant perdu plus de 30 % de pouvoir d’achat depuis le début des années 2000), mais également par des conditions de travail dignes et respectueuses de l’éthique, de l’autonomie professionnelle et de la déontologie de nos professions.

  1. Santé au travail : le secteur médico-social, un grand corps malade | Gestion Sociale / https://gestionsociale.fr/afp/sante-au-travail-le-secteur-medico-social-un-grand-corps-malade / 20 avril 2018.
  2. Risques psychosociaux (RPS). Ce qu’il faut retenir – Risques – INRS / https://www.inrs.fr/risques/machines/ce-qu-il-faut-retenir.html / 21 mai
  3. ARACT Martinique, « Elvie, un outil de prévention des RPS au travail », in Montreuil, É., Prévenir les risques psychosociaux et améliorer la qualité de vie au travail», Dunod, 4e édition.
  4. Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser / https://travail- gouv.fr/IM/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf
  5. Clot, Y , Le travail à cœur, La Découverte, 2015.
  6. https://assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/2018-01_affections-psychiques_ enjeux-et-actions_assurance-maladie.pdf
  7. Livre vert 2022 du travail social, chapitre 3.4 «Améliorer la qualité de vie au travail des professionnels», p. 90.
  8. Montreuil, , op.cit. chapitre 1.
  9. Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Encadrement et de Responsable d’Unité d’Intervention
  10. Certificat d’Aptitude aux Fonctions de Directeur d’Établissement ou de Service d’intervention social

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